Shocker (États-Unis, 1989) de Wes Craven

« CETTE CHAISE NE RIGOLE PAS ! »

Ce film de Wes Craven participe de son obsession à vouloir sonder l’Amérique (La Colline a des yeux, La Ferme de la terreur, L’Emprise des ténèbres, Le Sous-sol de la peur…) par l’entremise d’un scénario certes abracadabrant, mais qui défend une vision allégorique critique éclatée et toujours pertinente… Et à l’image de son protagoniste maléfique, Horace Pinker, à savoir un être hybride, « édifié » telle la créature de Frankenstein (une citation visuelle confirme cette référence) par la culture télévisuelle.

Le film « conte » les relations « anamorphiques » entre un psychopathe et son fils qui va tout faire pour l’arrêter, et ce malgré la chaise électrique, leur lien de sang et enfin le pouvoir « ubuesque » du tueur, capable de se déplacer via le courant électrique, de sortir de la télévision et ainsi de récidiver ses meurtres dans n’importe quel foyer américain. Le film est contemporain de Meurtres en VHS, Mort sur le grill, House III, Halloween III, The Hidden, The Borrower qui partagent cette vision critique d’une génération de cinéastes certainement hantée par la paranoïa américaine des années 50 procédant par contamination (ce que traduit l’idée du déplacement de corps en corps), à l’exemple de la chasse aux sorcières sous le maccarthysme. Le film retravaille cet imaginaire raciste basé sur la terreur de postulats souvent futuristes qu’entretenaient savamment les médias durant la guerre froide.

L’autre aspect intéressant du film est qu’il s’attaque à la relation sacro-sainte de la filiation, donc aux racines familiales de l’Américain moyen et, par cette entremise, tire à boulets rouges sur les croyances modèles d’une Amérique foncièrement hypocrite et réellement « barbare », comme l’atteste la peine capitale représentée dans le film par la chaise électrique. Pour Craven, le « mauvais » père renvoie au « bon » fils. La folie meurtrière de l’un équilibre la folie morne et stéréotypée de l’autre. Les croyances de l’un à tout ce qui relève de l’imaginaire artificiel de la télévision ne sont finalement que le double d’une vie saine, conforme, « militaire » (via le sport et l’esprit de compétition qui anime les campus universitaires) et multipliée à l’infini, à l’image de tous ces foyers américains ou de ces banlieues résidentielles, comme l’atteste le dernier plan du film (et le décor extérieur de Halloween de John Carpenter). Le film se moque de toutes les figures socialement autoritaires, reprenant le flambeau critique de Carrie : la vedette sportive et universitaire, le coach, le commissaire (et père adoptif du héros). Toutes les figures patriarcales vont être malmenées, « anamorphosées » par la figure du vrai père, aussi « monstrueuse » soit-elle. Même la trame narrative est malmenée pour qu’apparaisse sa nature dérisoire et pathétique, à l’image de la morale et justice américaines. En effet, on passe du burlesque au drame, puis du thriller au film fantastique à la lisière du dessin animé (1) (via la texture « télévisuelle » d’Horace Pinker) à l’image du zapping final où le père fouettard et son fils se retrouvent à se poursuivre et se battre à l’intérieur des programmes télé, et d’une chaîne à l’autre !

Une autre étrangeté confirme la dimension sympathique de cette série B beaucoup trop décontractée pour être seulement amusante. Il s’agit de l’insistance dramatique du fils adoptif à vouloir la mort de son « vrai » père qui rappelle l’antagonisme monstrueux du Monstre est vivant de Larry Cohen : l’image sociale en Amérique (le regard des autres) compte bien plus que la nature profonde des sentiments, qu’ils soient affectifs ou même familiaux (2) ! D’ailleurs, notre jeune héros « rêve » de son père et entre en relation avec lui pour tenter de prévenir ses crimes, comme un inconscient qui referait surface pour briser l’apparence lisse, propre et irréprochable de l’Amérique. Shocker, de ce point de vue, est la version « désastreuse » du classique hollywoodien Peter Ibbetson de Henry Hathaway.

« PREMIÈRE – […] Pourquoi meurt-on ?

DEUXIÈME – Peut-être parce qu’on ne rêve pas assez…

PREMIÈRE. – C’est possible… Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux alors s’enfermer dans le rêve, afin que la mort nous oublie ?… » (Fernando Pessoa, Le marin)

Shocker s’assume définitivement comme un spectacle grand-guignolesque et d’extrême mauvais goût qui nous révèle ce que nous voyons au quotidien à travers les chaînes hertziennes de notre foyer, même si nous brandissons « socialement » un bon goût ostentatoire (3) (via l’éducation et les communautés sociales professionnelles) pour nous déculpabiliser de notre passivité complice. Shocker n’est autre que le pastiche d’une Amérique de tous les excès « démocratiques », à l’image de ses vrais ou faux pères qui se délectent de la mort d’autrui, de l’acte (de tuer) à sa représentation (la peine capitale).

« Je propose la garniture avec le plat du jour. […] C’est du business, enfin ! De plus, le mauvais goût est le carburant du rêve américain. » (Halloween 2)

Derek Woolfenden (sous le pseudonyme Takezo Ichikawa, et paru dans Kill The Darling le 17/05/2021).

(1) Le court-métrage d’animation britannique Flatworld (Daniel Greaves, 1997) se souviendra de Shocker.

(2) À ce titre, il faut voir Killer Joe (William Friedkin, 2011) où un tueur à gages a plus de crédit auprès d’un père et d’une belle-mère que le propre fils du premier. Ce tueur à gages, avatar digestif de la culture « atrophiée » et grotesque de l’Américain moyen (voire même « redneck ») assume son caractère de pur simulacre via les stéréotypes visuels qui l’introduisent dans la narration (gros plans morcelés de sa stature découpée pour mieux suggérer la monumentalité « fantasmatique » de sa figure) !

(3) Tueurs Nés (Oliver Stone, 1994) et Disjoncté (Ben Stiller, 1996) viendront parachever la satire sociale sous-estimée de Wes Craven.