
« Après que 150 armes ont été volées sur une base américaine, un flic chevronné s’empare de l’affaire et s’attaque à un gang de yakuzas. Le seul film policier jamais réalisé par Kenji Misumi, plus proche du cinéma âpre, urbain, hard boiled, d’un Don Siegel ou d’un William Friedkin que du film de yakuza standard. » (synopsis du film dans le programme de la Cinémathèque française de Bercy et dans le cadre de la rétrospective qui fut consacrée à Misumi du 18 avril au 10 juin 2024).

Misumi, et ici au travers de ce film… un redresseur de morale ou un certain humanisme par la cruauté ? Un Flic hors-la-loi baigne dans une image aux couleurs délavées bien glauques où tout le monde (flics, yakusas, patrons, salariés…) est repoussé dans ses propres retranchements (comme chez Fukasaku où les yakuzas ne sont autres, finalement, que des employés de bureaux dans la course au capital). Les personnages de Misumi sont systématiquement mis dos au mur pour une partie de massacre où le temps s’étire avant de pouvoir y installer de la pure cruauté. Un maniérisme qui, plus il est décomplexé, plus il confère étrangement au réel. Autant le cinéaste Fukazaku est enragé et dans la fulgurance (Combat sans code d’honneur, Le Cimetière de la morale…), autant Misumi ose s’attarder, et pas du tout dans le sens du poil ! Cet enchaînement de scènes où notre policier empêche un truand de dormir en le ruant de coups en atteste, allant jusqu’au tatami et fait botter en touche son avocat. Ou encore le tabassage de ce même policier pendant que le big boss, allongé sur un canapé, se fait une manucure des pieds par son gorille et avant que celui-ci ne lui glisse langoureusement, précieusement, amoureusement ses chaussettes aux pieds. Plus sadique tu meurs…

Précisément dans cette dernière scène, notre regard se substitue à celui qui est censé voir ce tabassage, compatir et y mettre un terme, mais qui s’y refuse alors que cette violence lui es dédiée. La violence est donc ici décuplée dans la mesure où le spectateur est condamné à trop voir pour combler l’absence d’égards de ce personnage dominant envers sa proie. Ce destinataire manqué qui a pourtant commandité ce passage à tabac est inadmissible, ce qui contribue au spectacle morbide de la scène. Ce procédé vise également à notre compassion pour combler celle d’un personnage qui en est complètement dépourvu : « Le ressort proprement tragique du théâtre de Victor Hugo, c’est la compassion, assez proche de la pitié aristotélicienne » (Anne Ubersfeld, Victor Hugo et le théâtre). Dans le cadre de cette scène du film ou celle d’un combat de mandingues sacrifiés pour le bon plaisir de leur propriétaire qui ne daigne même pas les regarder dans Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino, « notre regard à la fois les voit et voit ceux qui ne les voient pas, qui leur refusent scandaleusement la moindre humanité. » (Présentation du Torquemada de Victor Hugo par Nicole Salvy)

Un Flic hors-la-loi semble être dans la carrière de Misumi ce que Frenzy (1972) fut chez Hitchcock ou Un Flic (1972) chez Melville, c’est-à-dire le point firmament ingrat d’une carrière où le mauvais goût est enfin affronté pour relever du dernier combat, celui du défi esthétique et politique pour ces cinéastes devenus ici des esthètes éprouvés, chacun à leur manière. Et peut-être aussi, ces derniers, ont-ils été éloigné de leurs véritables aspirations toute leur carrière durant à force de compromis et de la peur légitime de perdre son public en lui rentrant délibérément dedans.
Derek Woolfenden, 2024


