
Sources : Doug Hammond with Karen Joseph, Stillupsteypa, Vanessa Rossetto, Il Paese dei Balocchi, Giovanni A-Bignone, Folke Rabe & Jan Bark
POURQUOI
« LES ENFANTS qui ne savent pas encore parler savent, seuls, véritablement regarder.
Ils regardent tout. Ils ne posent pas de questions.
Ils touchent, ils goûtent, ils rient, ils pleurent, mais surtout ils regardent.
Ils regardent autour d’eux le monde et les gens sui s’agitent. Ils connaissent les animaux, ils n’en ont pas peur.
En les touchant – avec les mains ou la bouche – ils connaissent les choses. Ils enregistrent tout.
Et voilà pourquoi leur tête est si grosse et leurs yeux si grands.
Voilà pourquoi on les trouvent si beaux.
Quand ils commencent à parler, ils sont émerveillés. Ils roulent dans leur bouche quelques mots qu’ils répètent sans fin, heureux, étonnés.
Et puis, l’apprentissage vient. Les mots, il ne faut plus qu’ils les disent pour le plaisir ou par hasard.
On les leur fait prononcer, corriger, répéter, quand on le demande, quand on le décide, dans un certain ordre et à certains moments.
On leur dit « regarde », on leur dit « répète », on associe telle chose à tel mot, telle personne à tel nom, et puis on dit « oui » ou « non ».
Mais ils ne comprennent pas pourquoi.
Alors, sans cesse, ils demanderont et redemanderont : pourquoi.
Pourquoi ceci, pourquoi cela. Et chaque fois, on leur répond : parce que ceci, parce que cela.
Et jamais plus ils ne seront insouciants et heureux. Car le monde se sera brusquement rétréci, enfermé dans les « ceci » ou les « cela ».
Le monde qui ne pourra contenir qu’un seul papa, le sien; une seule maman, celle-là; une seule maison appelée « chez-soi ».
C’est qu’entre temps l’enfant grandit, mais pas la tête. Il lui faudrait poser encore une seule question, tout simplement : pourquoi.
Mais il ne la pose pas car personne ne lui répondra, il le sait déjà.
Trop simple ou trop compliqué pour des petites têtes.
Voilà pourquoi. »
Alice Becker-Ho, Au Pays du sommeil paradoxal, (éd Le Temps qu’il fait)

