WALTER HILL, LE DERNIER BAROUDEUR

Hommage rendu à Walter Hill à la Cinémathèque française de Bercy du 14 au 24 décembre 2005. Hommage précédé de la rétrospective qui lui a été consacré à la 23ème édition du festival de Turin (du 11 au 19 novembre 2005).
Coïncidence heureuse ou véritable reconnaissance européenne rendue au cinéaste et scénariste émérite américain ? Pourquoi un « coup de chapeau » au lieu d’une rétrospective ? Non seulement cet « hommage » témoigne des préférences d’esthète de la part des programmateurs, mais celui-ci prolonge l’incompréhension critique vis-à-vis de certains d’entre eux. Quand réhabiliterons-nous Johnny Belle Gueule, 48 heures de plus et Wild Bill pour ne citer qu’eux ? Et même malgré certaines faiblesses… présenter Dernier Recours aurait été décisif pour faire témoigner, autrement que 48 heures (pour le film d’action contemporain), combien cet auteur « mineur » (?) préfigure une démarche formaliste, conceptuelle et minimale, entre The Killer de John Woo1 et Sin City de Robert Rodriguez,
Rencontrer Walter Hill : l’occasion de revisiter une œuvre peut-être modeste, mais tranchante, nous rafraîchir la mémoire et mettre à nu certains malentendus.
ENTRETIEN AVEC WALTER HILL
Pouvez-vous nous parler de vos collaborations, en tant que scénariste, avec les cinéastes Sam Peckinpah (Guet-apens, 1972), John Huston (Le piège, 1973) et Stuart Rosenberg (La Toile d’araignée, 1975) ?
Stuart Rosenberg, je ne l’ai jamais rencontré. J’ai eu un différend avec le producteur. Plusieurs autres scénaristes sont intervenus et ont réécrit le scénario, et Stuart Rosenberg l’a réalisé, il me semble qu’il a travaillé également sur le scénario. L’écriture d’une version du scénario m’a permis d’avoir un certain poids. Avec John Huston, on a travaillé ensemble… C’était autour de 1971 et 1972. On a fait un film ensemble assez faible, Le Piège (The Macintosh Man), qui s’intitulait The Freedom Trap à l’origine. Huston a réécrit en grande partie la deuxième moitié du scénario, je me suis occupé principalement de la première moitié. Cela m’a plu de travailler avec Huston, on s’est bien amusé, il était de bonne compagnie. Superbes histoires, grand conteur. Ce n’était pourtant pas une période heureuse pour lui. Malheureux en mariage. Il n’était pas en bonne santé non plus. Il souffrait déjà de l’emphysème qui est, vous le savez, une maladie terrible. Il s’est accroché pendant des années. L’emphysème a également tué ma mère… C’est une maladie terrible.
… Et Sam Peckinpah ?
J’ai travaillé avec Huston juste après avoir travaillé avec Peckinpah. J’étais beaucoup plus proche de Peckinpah. J’ai travaillé une dizaine de semaines avec Peckinpah à réécrire Guet-apens… En fait, j’ai écrit le scénario avant qu’il n’arrive sur le projet. La seule chose que Peckinpah a changé c’est que nous sommes passés d’un film d’époque à un film contemporain. Mais on a plutôt « bourlingué » ! On a amélioré les scènes d’action, peaufiné les dialogues. C’était quelqu’un de très occupé à l’époque. Il terminait Chiens de paille et venait de clore le tournage de Junior Bonner. J’étais en sa présence… plusieurs heures chaque jour… Je lui suis extrêmement redevable. J’ai une très grosse dette envers Peckinpah pour la simple raison que le succès de ce film, Guet-Apens, m’a permis de devenir réalisateur. On a peut-être pas été des amis très proches, mais on est resté en très bons termes, jusqu’à sa mort. Il n’était pas toujours en bonne santé… On me pose plus de questions sur lui que sur toutes les autres personnes avec qui j’ai travaillé. Et pour une bonne raison, c’était peut-être l’individu le plus unique que j’ai rencontré. On me pose plus de questions sur Sam Peckinpah que sur Steve McQueen, Ry Cooder ou encore Eddie Murphy. On pense que Peckinpah était un homme très violent et l’on a souvent tendance à dire qui connaît l’homme connaît le film ou qui connaît le film connaît l’homme ! Quant on me parle de Peckinpah, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est un grand sens de l’humour, très sardonique. C’était bien de déjeuner avec lui, de boire un coup à la fin de la journée. Et j’ai eu de la chance que nos chemins se croisent et… comme je l’ai dit auparavant, je lui suis redevable. Le film a bien marché. Et je pense que c’est un sacré bon film.
Dans un entretien que vous avez accordé à Patrick McGilligan (pour le Film International n°12, 2004), vous dites de Peckinpah qu’il écrivait à une voix et de Huston à plusieurs. Qu’entendez-vous par cette remarque ?
John Huston a été scénariste, Sam Peckinpah aussi. Tous deux sont devenus, bien entendu, des réalisateurs confirmés. Mais ils étaient vraiment différents. Sam travaillait sur un canevas assez étroit, mais il travaillait magnifiquement dessus. Huston représentait bien mieux l’idéal du scénariste à l’ancienne qui consistait à être complet, c’est-à-dire avoir plusieurs voix. On peut imaginer Peckinpah écrire Le Trésor de la Sierra Madre, mais pas Juarez. Je n’essaie pas d’émettre un quelconque jugement de valeur. L’un avait une sensibilité plus large, l’autre plus étroite. On peut avancer l’argument que Peckinpah était plus parfait. Il avait une sensibilité plus restreinte, mais comme on le dit en sport, on aurait plus intérêt à miser sur celle-ci, que sur la sensibilité étendue de Huston.
Pouvez-vous nous parler du premier scénario vendu à un producteur, Lloyd Williams and his brother ?
J’ai écrit un scénario intitulé Lloyd… qui est devenu Drifters, c’était un western. Sam devait le réaliser à un moment donné et puis, pendant la lente période de négociation, il a fait Pat Garrett qui fut probablement son dernier film de studio, ses financements étant toujours très compliqués. L’opportunité de faire Drifters s’est donc envolée. Cela concernait les combats monnayés pendant la Conquête de l’Ouest et Jon Voight était pressenti pour le rôle (de même qu’il le fût pour Pat Garrett). Mais Jon Voight joua dans un autre film sur le même sujet, The All American Boy. Ce n’est pas un film très connu…
A propos de Lloyd Williams…, quel en est l’histoire ?
C’était l’histoire de deux frères, déserteurs, qui faisaient des combats dans les bars pour gagner leur vie. C’était des déserteurs. Une allégorie plutôt embarrassante sur les déserteurs du Vietnam. Une sacrée bonne histoire. D’ailleurs, je devrais la déterrer, la relire. Si je dois faire des interviews à propos de choses que j’ai écrites il y a trente-cinq ans, je ferais mieux de rentrer chez moi et tout relire !
Nous avons lu que vous adoriez le scénario d’Alexander Jacobs, Point Blank (John Boorman, 1967). Pourquoi ?
Je n’ai jamais réussi à comprendre pourquoi on n’appliquait pas une certaine technique littéraire dans l’écriture des scénarii. A mes débuts, le scénario hollywoodien idéal me semblait manquer de personnalité, rempli de formules toutes faites, un peu comme un prototype pour faire des films. Puis, j’ai lu le scénario d’Alex, Point Blank, et c’était précisément ce que je recherchais. À mon avis, il avait fait bien plus que d’ouvrir une brèche. Et, dès lors, je n’ai plus essayé d’écrire mes scénarii dans le style hollywoodien conventionnel, mais dans une facture plus audacieuse et épurée. C’était plus prétentieux d’un point de vue littéraire, mais c’était également une tentative d’apporter un nouveau souffle. Le scénario d’Alex Jacob a été fondamental, il m’a donné le courage pour mieux faire. Déjà, à Hollywood, on considérait mes scénarii dépouillés. Après Point Blank, mes films l’étaient encore plus. Et, comme à la même époque j’écrivais des scénarii dans l’idée de les réaliser moi-même… Vous savez, on se permet beaucoup plus de choses quand on écrit pour soi que quand on écrit pour les autres.
Dans quelle mesure les films étrangers vous ont-ils influencé ?
Il n’y a rien d’unique. Dans les années 60 et 70, comme beaucoup de jeunes gens, j’ai vu des films étrangers. Le cinéma français, la nouvelle vague. Les films anglais « Kitchen sink drama2 », les films italiens que j’aimais particulièrement. Quand je l’ai dit la semaine dernière, au festival de Turin, ils ont tous fait « Waouh » ! Maintenant que je suis en France, je devrais changer mon fusil d’épaule. Mais vous savez, à cette époque, on avait la chance de voir ces films : français, italiens, polonais, Wajda, Bergman, des films japonais… Il y avait des choses nouvelles et intéressantes à voir chaque semaine, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. En 1967, je vous assure, demandez à vos amis un peu plus âgés, il y avait certainement 25 réalisateurs français de grand intérêt. Aux États-Unis, si vous étiez curieux, vous en connaissiez au moins 25 aussi. Ils n’étaient pas très connus, mais l’étaient de ceux qui s’intéressaient au cinéma. Aujourd’hui, je ne pense pas que l’on connaisse plus de cinq réalisateurs français. C’est malheureux. Je ne dis pas qu’ils n’existent pas, je ne les connais pas. De même avec les italiens, les polonais. On ne voit plus aucun film suédois, et très peu de films anglais. C’est dommage.
… Et Jean-Pierre Melville ? Nous pensons en particulier à The Driver dans l’approche de vos personnages.
Probablement. J’ai vu les films de Melville et je l’admire beaucoup. Mais bien souvent, les gens font des connexions trop facilement. Melville est intéressant, mais vous ne pouvez pas parler de lui sans parler des films américains. Il a beaucoup emprunté… Vous parlez du Samouraï… Alain Delon y est exceptionnel mais le personnage qu’il incarne repose intégralement sur celui d’Alan Ladd dans Tueur à gages (Frank Tuttle, 1942). Ils ont le même imper. Ils ont la même garde-robe ! Il est assez difficile de dire de quelqu’un qu’il est influencé par Melville, alors que lui-même a été influencé par tant de films. Tout cela est tellement lié.
Les séquences de poursuite de The Driver sont très stylisées…
A Turin, ils ont dit de Driver qu’il s’agissait d’un film « très en avance ». Dans un sens, j’ai essayé de faire un film très rigoureux, très dépouillé, de pousser cela aussi loin que j’ai pu. C’était comme une ligne toute droite. Mais en même temps, le tournage du film a été à l’opposé de ce parti-pris. Tout s’est agencé très rapidement. Nous avons tourné de nuit. Je ne fais pas de story-boards. Par exemple, je me souviens m’être interdit de réaliser des plans à la dolly. Tout devait tenir dans le cadre. J’ai juste filmé des poursuites et je les ai montées du mieux que j’ai pu !
Comment définiriez-vous votre méthode de travail ?
Je n’ai qu’une méthode… Cela ne m’intéresse pas. Est-ce que j’ai envie de dépenser toute une année sur un projet particulier ? Une année, c’est long. Vous irez voir demain ou la semaine prochaine Paul Mazursky, ou quelqu’un d’autre ! Je dois me concentrer sur une histoire et des personnages pendant un an. Peut-être pas un an. Vous êtes donc obligés de vous demander : est-ce que vous en seriez satisfait pour toute une année ? Il faut que cela soit amusant, que cela relève du défi. Certaines choses vous intéressent, d’autres moins. Beaucoup de gens vous envoient leurs scénarii, il y en a de très bons… Vous prenez donc du plaisir à les lire, ensuite cela vous permet d’en parler pendant toute une semaine. Et c’est génial quand vous pensez pouvoir passer une année avec. Admettons que vous vouliez faire des films. Explorer votre propre personnalité. Qu’est-ce que vous aimez dans le cinéma ? Vous dites que vous aimez certains de mes films. Alors, pensez à ces films, puis pensez à des histoires que vous raconteriez dans le même esprit. De toute façon, vous n’obtiendrez jamais le même résultat. J’ai été influencé par Howard Hawks, Kurosawa ou encore Raoul Walsh… Qu’importe mes lacunes, je suis sûr qu’elles sont nombreuses, qu’importe mes problèmes, mes échecs. Mais au final, vous pourrez vous rassurer en vous disant : mes films existent, ce sont les miens, bien qu’ils m’aient été inspirés par tous ces merveilleux réalisateurs. Allez-y et rendez-vous compte par vous-même de ce que vous aimez et de comment vous allez procéder pour le faire. Aucune excuse. Il n’y a rien de pire que les excuses.
Vous considérez-vous comme l’initiateur du genre « buddy movie3 » ?
On a souvent tendance à me le dire. J’ai toujours pensé que mes films sont plutôt des anti « buddy movies » (48 heures, Double Détente, 48 heures de plus) ! Ils passent leur temps à se battre… Je pense que plusieurs films sortis après sont, quant à eux, de véritables « buddy movies ». Je n’ai jamais considéré que les miens l’étaient, dans la mesure où mes protagonistes n’arrêtent pas de se disputer !
Et comment construisez-vous vos personnages dans ces films en particulier ?
Sincèrement, je ne sais pas comment tout cela se construit. Vous le faites et vous vous y intéressez. Vous l’écrivez et vous vivez avec. Je n’aime pas trop réécrire. J’améliore le film en cours de tournage. C’est la routine, je ne sais pas s’il faut vraiment examiner tout ce processus. Je risque de compromettre mon travail.
Les personnages de « méchants » semblent concerner uniquement vos « buddy movies ». Comment cela se fait-il ?
En effet, c’est un problème intéressant. Il est vrai que certains réalisateurs accordent plus d’importance que d’autres aux « méchants ». Selon vous, ce n’est pas mon cas. Je tiens plus à leur comportement qu’à leur psychologie… C’est probable. Je ne m’intéresse pas aux « méchants ». On le sait tous, dehors, il y a des côtés obscurs, et beaucoup de gens semblent vouloir nous faire du mal ! Et je pense que c’est un sentiment humain très ancien, presque universel. Toute cette confusion rend les choses plus passionnantes. Le cinéma repose bien souvent sur le comportement des gens face à cette obscurité, ou des personnes qui jouent en dehors des règles.
Malgré le choix des genres codifiés que vous choisissez pour vos films, il n’y a jamais ni vraiment de bons, ni vraiment de méchants. Est-ce l’effet « Rashomon4 » ?
Chez nous, on dit « gris ». Par exemple, qui est le « méchant » dans The Driver ? C’est assez compliqué, non ? Bruce Dern ? Pourtant c’est Ryan O’Neal qui est hors-la-loi, alors que Bruce Dern la fait respecter. Mais d’une certaine façon, Ryan O’Neal nous est plutôt sympathique alors que Bruce Dern nous est antipathique. Est-ce que cela suffit-il pour vous faire pencher plus vers l’un plus que l’autre ? Il faut prendre du recul. Dans une histoire, ce qui sépare le bien du mal peut être confus dans la mesure où les gens choisissent de vivre différemment. En ce qui me concerne, je pense qu’il vaut mieux respecter la loi, mais raconter des histoires, c’est autre chose !
D’où vient cette idée d’un « héros collectif » présente non seulement dans Les guerriers de la nuit, mais aussi dans votre première production Alien (Ridley Scott, 1979) ?
On ne connaît qu’une poignée d’histoires. On ne fait que retravailler des sujets que l’on connaît, avec lesquels on est familier. Je suis convaincu qu’il y a des similitudes. Mais pourquoi y a-t-il tant de choses récurrentes dans ce que je fais ? Je ne saurais le dire ou l’expliquer. Vous vous intéressez au processus, moi pas. Ce qui m’intéresse, ce sont les résultats et je pense que si vous examinez le processus, vous risquez la paralysie et je fais mon possible pour l’éviter.
Comment écrivez-vous vos personnages féminins ?
J’ai toujours dit que les deux choses que je maîtrisais le mieux sont l’humour et les femmes ! Mais personne n’a jamais été d’accord avec moi ! Et personne ne m’a jamais donné d’argent pour le faire ! D’ailleurs, dans mon prochain film, un western, dont le tournage s’est terminé il y a trois semaines, il se passe toute sorte de choses avec des chinoises et Greta Scacchi… Vous me direz ce que vous en pensez !
Mais, en général, je crois que les choses ne se font jamais de cette manière-là. Vous n’écrivez pas sur un homme, vous écrivez sur Jack. Vous n’écrivez pas non plus à propos d’une femme, vous écrivez à propos de Philis. Et je pense que c’est trop facile de dire que tout ça n’est qu’une invention. Ce n’est pas tant de l’invention que de la découverte. Vous regardez ici et là, mais c’est déjà là. Et votre travail consiste à dégager et à trouver. Si vous pensez que cet homme est dans telle situation ou cette femme dans telle autre, leurs réactions seront justifiables de leur point de vue.
… Il nous semble que vos personnages féminins sont déterminants, notamment Mercy, dans Les guerriers de la nuit, interprétée par Deborah Van Valkenburgh.
Vous me défendez beaucoup contre les attaques injustes que me témoignent vos confrères ! D’abord, je voudrais dire que Deborah est une excellente actrice. Elle a vraiment réussi à capter ce ton légèrement satirique que je recherchais. Elle est à la fois très drôle et très timide, mais il est vraiment difficile de parler avec elle. Par contre, dès qu’elle se met à jouer, elle dégage de la puissance, de la précision, de la détermination et de la confiance. Lorsque vous dites « Coupez ! », elle se referme, et quand vous dites « Action », elle monte au créneau et rugit à nouveau. Étonnantes qualités. Très bonne actrice. Elle n’a jamais eu la chance de travailler autant qu’elle aurait dû. Elle a fait un peu de télévision, elle chante également. Elle a une très belle voix. Elle a toujours voulu être chanteuse plutôt qu’actrice. Une femme adorable.
… Et Maria Conchita Alonso qui joue Sarita dans Extrême préjudice ?
Encore une très bonne actrice. Maria Conchita Alonso a beaucoup travaillé. Elle a eu une bonne carrière. Une bonne chanteuse. Il y a quelque chose de triste en elle, quelque chose de profond. C’est amusant : elle est très drôle et triste en même temps. Je pense que le film a très bien montré les facettes de sa personnalité.
Le western est omniprésent dans vos films. À quel moment ce genre intervient-il dans l’écriture de vos projets ?
Que pouvons-nous dire du western à ce stade de la conversation ?! Je viens de terminer un western. Qu’est-ce qu’un western ? Est-ce que ce sont juste des films qui se déroulent de la guerre de Sécession à 1900 dans l’Ouest américain ? De grands chapeaux, des chevaux, des armes… Je pense que personne, dès lors que vous posez le problème du western, ne pourra se satisfaire de ces éléments. Si vous y pensez sérieusement, le western est plutôt un état d’esprit. C’est l’aptitude des personnages à s’occuper de leurs propres dilemmes et problèmes au-delà des moyens mis en place par les gouvernements pour les régler à leur place. Comme on a pu souvent le constater, le western est la forme qui se rapproche le plus des tragédies grecques dans le cinéma américain. Et les westerns tendent vers des structures narratives finalement assez simples : on met l’accent avant tout sur les personnages et les thèmes choisis. J’aime les westerns pour toutes ces raisons. Je suis naturellement attiré vers eux. Et cela correspond aussi à ce que le cinéma peut faire de mieux. Je pense que vous devriez toujours, si je peux me permettre, aborder une approche critique plutôt par ce biais-là. L’une des questions essentielles qu’il faut toujours se poser est : y a-t-il un intérêt cinématographique dans cette histoire ? Est-ce qu’il vaut mieux la raconter sous forme de film, d’un roman ou d’une pièce de théâtre ? Beaucoup de films feraient de meilleurs romans ou de pièces de théâtre. Mais certaines histoires fonctionnent mieux en films. C’est le cas des westerns.
Vos protagonistes sont souvent anachroniques…
Je suis un anachronisme. Bien sûr que je les adore !
Vous utilisez le western pour des sujets finalement assez réalistes alors que ce genre est proprement lié au cinéma…
Je ne pense pas que l’on puisse être très réaliste, à mon avis c’est impossible. Pourquoi ne pas adopter un point de vue intrinsèque quand on fait des films ? Vous faites un film, nom de Dieu ! Vous connaissez Jack Benny ? C’était un acteur américain qui faisait de la radio… un comique. Il était bon, drôle, il a eu beaucoup de succès. Vous connaissez Buster Keaton ? Buster Keaton était au cinéma ce que Jack Benny était à la radio, à la télévision, au théâtre. Qu’est-ce que vous voulez faire ? Quel est votre idéal ? Vous voulez apporter votre pierre à l’édifice. Vous voulez faire avancer les choses. Bien. C’est plutôt une bonne idée de commencer par savoir précisément ce que vous êtes capables d’accomplir, ce que vous pouvez faire de mieux. C’est amusant à quel point tout cela est confus. Tous les jours, il y a des gens qui essayent de raconter des histoires qui n’ont rien de cinématographique. Certains d’entre eux sont pourtant très intelligents, voire même astucieux et talentueux dans un sens. Mais il faut savoir trancher, envisager les choses de la meilleure manière possible. J’ai fait un film, Un seul deviendra invincible (Undisputed, 2002). Je discutais avec un ami… Au fait, est-ce que vous aimez le sport ? Est-ce que vous lisez les pages sportives ? Je suis un fan de sport. MIKE TYSON. Champion du monde des poids lourds. Le type le plus costaud des États-Unis va en prison. Il y a beaucoup de durs en prison. Les prisons américaines sont des lieux vraiment terribles. Les gars y sont sacrément costauds. Sonny Liston a fait de la prison. C’était également un champion du monde des poids lourds. Il était même le champion de la prison. Vous déjeunez, vous discutez avec des amis et vous imaginez que Mike Tyson va en prison et rencontre Sonny Liston… Est-ce que c’est un roman ? Une pièce de théâtre ? Ou un film ? Attendez une minute… Voilà, un film !
Qu’est-ce qui vous attire chez les personnalités historiques que vous avez adaptées au cinéma, tout particulièrement dans vos westerns ?
C’est vrai que j’ai réalisé trois westerns, différents de celui que je viens de terminer. Tous les trois sont à caractère biographique. Un film sur le gang des frères James et Younger (The Long Riders, 1980), un autre sur Geronimo (Geronimo : An American Legend, 1993) et enfin James Hickok (Wild Bill, 1995). Il est vrai que Deadwood (série télévisée à laquelle participa Walter Hill en 2004) concerne, dans une certaine mesure, le personnage de James Butler « Wild Bill » Hickok. L’original au moins, c’est-à-dire l’épisode pilote. Pour nous, ce sont des icônes de l’Ouest. Je suis un peu arrivé sur ces projets par accident, mais rien n’est jamais si accidentel… Evidemment, j’y attachais de l’importance. Tout cela représente exemplairement certains aspects de l’histoire américaine. On a toujours tendance à réfléchir en termes de progrès et de succès, des fondements de notre Nation. Il faut bien dire que notre Nation est triomphante, mais je m’intéresse plutôt à ceux qui sont en marge, à ce qui ne fonctionne pas si bien, à ceux qui sont pris dans l’engrenage et pourquoi. J’ai donc fait quelques films sur ce sujet. Pour moi, Hickok est un personnage fascinant. Il a choisi d’être un héros, d’être une légende au sacrifice de sa vie personnelle. Et d’une certaine manière, il en devient lui-même victime. Nous vivons dans la culture de la célébrité. Tous : vous, peut-être les chinois, je n’en sais rien, mais les États-Unis l’ont poussée à son comble. Et nous avons parfois des réponses très simples pour des questions très compliquées. Prenez, par exemple, les boxeurs poids lourds. Ils s’entraînent et s’infligent de terribles dommages physiques pour de l’or. On constate cela, sur leur carcasse martelée et endommagée, bien des années après. Cela nous paraît tragique. Mais, en même temps, on ne réalise jamais assez combien il est exceptionnel d’arriver aussi haut. C’est difficile pour chacun de se dire : est-ce que cela vaut le coup ? Wild Bill soulève ce genre de questions. Il est toujours « Bill », il n’était pas comme vous et moi.
James Hickok (Wild Bill) et Cole Younger (Le gang des frères James) nous semblent très proches. Pourquoi ?
Ils soulèvent différents aspects d’une même personnalité. Dans leurs derniers jours, ils manifestaient un certain recul philosophique vis-à-vis d’eux-mêmes.
… Ces personnages ont, par exemple, la même relation sociale, voire philosophique, avec le poker.
Tout est une question de jeu. On joue tous un rôle. Vous êtes les journalistes, je suis le réalisateur. Je donne les réponses du réalisateur aux questions que vous me posez. « Bill » et Cole Younger en sont très conscients. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas sincères, je pense que nous le sommes. Il y a une part de nous-mêmes qui prend des distances vis-à-vis de tout cela : je joue le rôle dans lequel les gens veulent me voir. « Bill » et Cole Younger se retrouvent tous deux dans cette même situation, si ce n’est que leur rôle est plus compliqué, plus important, plutôt déterminant… Cela requiert un terrible engagement physique. Ils doivent se mettre à découvert et risquer leur vie. Hickok avait l’habitude de dire qu’il n’était pas le meilleur tireur de l’Ouest. Il affirmait que ce qui est décisif, c’est d’être le meilleur tireur possible, à l’instant où l’on vous tire dessus. Ce n’est pas pareil. Personnellement, si l’on me tirait dessus, je ne saurais pas riposter. D’accord, « Bill » avait la capacité de rester serein quand quelqu’un lui tirait dessus et il le tuait !
Vos personnages interprétés par des acteurs noirs5 ne sont pas traités de manière conventionnelle vis-à-vis du paysage cinématographique américain. Comment procédez-vous à l’écriture de leurs rôles ?
J’accepte le compliment, je vous en remercie. Je ne connais vraiment pas la réponse. J’écris simplement les personnages tels qu’ils me semblent devoir être… J’essaie de les rendre aussi authentiques que possible selon la situation où ils se trouvent. En général, les gens écrivent des personnages issus de minorités ethniques comme cela les arrange, tant d’un point de vue négatif que positif. Dès lors que vous procédez ainsi, vous tombez dans la difficulté, vous vous éloignez de la nature de votre personnage, de sa fonction. Quoiqu’il en soit, vous en revenez toujours à vous-mêmes… Je ne pense pas que j’écris des personnages de noirs, j’écris simplement des personnages.
Nous pensons que vos rapports avec les jeux sont également très forts. On a parfois l’impression que vous adaptez les jeux de l’enfance au monde des adultes6 tant d’un point de vue narratif que thématique. Pouvez-vous nous expliquer ce sentiment ?
Encore une fois, c’est très difficile de l’expliquer. Le cinéma produit des émotions et c’est sur quoi je travaille. Il me semble essentiel d’être au plus près des émotions que l’on avait quand on était très jeune et de pouvoir les réinjecter dans les films. C’est certainement un mérite. Il y a probablement un côté négatif : assurément, si vous faites trop naïf et ridicule. Avez-vous lu Borges ? Il a dit qu’il passerait ses derniers jours à lire les romans de son enfance : La Guerre des mondes, L’île au trésor. Je peux comprendre cette impression, parce que j’aimerais pouvoir revoir La Chose, La Rivière rouge, les films que j’ai aimé et vu dans ma jeunesse. Ce sont de très bons films. Il est très difficile de préserver cette émotion en vous. Les gens pensent que c’est une attitude simpliste, mais ce n’est pas du tout ce que je veux dire.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Ry Cooder, auteur attitré de la musique d’un grand nombre de vos films7 ?
J’avais une petite amie qui aimait beaucoup ses albums et elle me les faisait écouter très souvent. J’étais sur le point de commencer Le Gang des frères James quand il a sorti un nouvel album qui s’intitulait Jazz. Deux morceaux me semblaient correspondre à ce que j’essayais de faire. J’ai passé quelques coups de téléphone et nous nous sommes rencontrés. Il n’avait jamais composé de musique de film. Nous avons parlé et j’étais convaincu qu’il pourrait faire une très bonne musique. Je l’ai donc proposé au Studio. Ils l’ont rejeté. Cela m’a encore plus donné envie de travailler avec lui ! On a beaucoup hésité, réfléchi et ils ont finalement accepté. Il est venu, et a composé une superbe musique. Depuis, nous avons beaucoup travaillé ensemble. C’est toujours assez difficile, son emploi du temps est très chargé et ne correspond pas souvent au mien ! D’autre part, il n’est pas toujours la personne la plus appropriée. Quand j’étais jeune, il m’arrivait de penser que la musique était trop présente. Trop de violons, beaucoup trop… Et quand j’ai eu l’opportunité de faire des films, j’ai continué à penser que la musique ne devait pas être si orchestrale. Encore une fois, il est toujours délicat de généraliser. Mais, somme toute, je préfère que la musique soit discrète et bien intégrée à l’histoire, et c’est ce que Ry a tenté de faire dans nos diverses collaborations. A mon avis, cela a très bien fonctionné : englober le drame plutôt que de l’accentuer.
Que pensez-vous de votre postérité ? Avec John McTiernan, Tony Scott8, Shane Black ou Robert Rodriguez9 par exemple ?
En ce moment, je pense seulement à monter mon western. On ne devrait pas penser à la postérité ! Je ne suis même pas sûr que nous en aurons une ! Tout cela m’est un peu arrivé par accident. Mais j’ai vraiment passé de bons moments à le faire. Ce n’est pas un métier facile. On s’y amuse beaucoup mais… c’est un milieu avec des hauts et des bas.Vous ne pouvez pas durer dans ce métier si vous n’avez pas des hauts ! J’ai encore du travail. Cela fait 35 ans que je travaille comme scénariste et réalisateur. J’ai donc eu beaucoup de chance et j’y ai pris beaucoup de plaisir. On vous invite à Paris, une belle ville, vous rencontrez des gens, c’est bien !
Quels sont vos projets actuels ?
Broken trail avec Robert Duvall. Avec Thomas Haden Church et Greta Scacchi. Un western !
Et qu’en est-il de Little sister ?
Nous en sommes encore au stade de préparation. Le casting n’est pas terminé. C’est un assez bon scénario, je pense. C’est un thriller contemporain qui se déroule à Las Vegas. Très noir.
Et Vengeance is mine ?
Vengeance is mine est un autre film qui se passe également à Las Vegas. Pour l’instant, je ne peux pas vous en dire plus. Je ne pense pas qu’il se fasse, mais j’aime bien le titre.
Entretien réalisé par Derek Woolfenden et Nicolaï Maldavsky.
Remerciements à Pauline Callandreau pour la traduction.
NOTES :
1 Un remake du film par Walter Hill avait été envisagé.
2 Théâtre et cinéma réalistes des années 50 et 60 ayant pour thème l’ennui et la misère des gens ordinaires.
3 Genre cinématographique, souvent d’action policière, qui consiste à réunir deux protagonistes que tout oppose et qui sont obligés de faire équipe pendant toute la durée du film : la série des Arme fatale de Richard Donner (de 1987 à 1998), Le Dernier Samaritain (1991) de Tony Scott, Une Journée en enfer (1995) de John McTiernan, Rush Hour (1998) de Brett Ratner ou encore Kiss Kiss Bang Bang (2005) de Shane Black pour ne citer qu’eux.
4 C’est un moyen de conférer aux personnages antagonistes un point de vue qui peut justifier leurs actes, ce moyen scénaristique porte le nom du film de Kurosawa.
5 Par exemple, l’acteur noir Brent Jennings interprète toujours des personnages secondaires très originaux : il est Abdul Elijah dans Double Détente et Tyrone Burroughs dans 48 heures de plus.
6 Les rapports à l’enfance sont très forts chez Walter Hill : la nostalgie de celle-ci dans Extrême Préjudice, la transposition urbaine de « la chasse au trésor » dans Les Pilleurs, l’obstination infantile de Richard Pryor dans sa relation affective avec le base-ball qu’il substitue au niveau professionnel (l’argent est ici une machine à désillusions !) dans Brewster’s Millions, le besoin communautaire des jeunes entre eux (des Guerriers de la nuit à Sans Retour), les fonctions sociales et valeurs morales déterminantes du héros (Le Bagarreur, Les Rues de feu) ou du modèle (Un seul deviendra invincible) dans ses relations médiatiques interactives avec le spectateur (Wild Bill).
7 Il a composé les musiques des films suivants de Walter Hill : Le Gang des frères James, Sans Retour, Les Rues de feu, Brewster’s Millions, Crossroads, Johnny Belle Gueule, Les Pilleurs, Geronimo, Dernier Recours.
8 Il a été le réalisateur pressenti pour faire le remake des Guerriers de la nuit.
9 Le traitement stylisé, voire conceptuel et épuré de la mise en scène, le découpage et les dialogues très segmentés de Sin City sont très proches de Dernier Recours.
« CAN YOU DIG IT ? »

Walter Hill est un cinéaste méfiant, sauvage préférant l’esquive lorsqu’il s’agit de parler de ses films et de mise en scène. Une nécessité s’est donc imposée : sonder sa filmographie pour y dégager les évidences thématiques et formelles, relever les paradoxes d’un auteur, qui a réussi à combiner jusqu’à la perfection, film d’auteur et film d’exploitation. Cette fusion est aussi à l’origine d’un véritable malentendu entre la critique et lui (particulièrement en France), mais révèle des paradoxes passionnants, dévoilant son audace narrative et sa radicalité. Constater enfin que son œuvre est une déclinaison obsessionnelle du western et démontrer combien cet auteur, finalement discret, est profondément hanté par son médium, le cinéma, qu’il plonge sans cesse dans un contexte sociologique et historique.
« Haiku style1 » : premiers films, premières armes
Les trois premiers films de Walter Hill, Le Bagarreur (Hard Times, 1975), The Driver (1978) et Les Guerriers de la nuit2 (The Warriors, 1979) sont poussés à l’épure et relèvent d’une dimension proprement mythologique : du comportement des personnages presque hiératiques aux trajectoires que ces derniers effectuent pendant toute la durée du film (Les Guerriers de la nuit, Sans Retour). Ces trajectoires renvoient non seulement à certains westerns (La Patrouille perdue, La Rivière rouge, La Prisonnière du désert), mais aussi aux récits bibliques (Moïse) et mythologiques (L’Odyssée, les Argonautes, L’Énéide). Walter Hill affûte le western, dans sa forme la plus archétypale et conceptuelle, de sorte à éviter ainsi toute interprétation subjective, et dégager le caractère essentiel et fonctionnel de ce parcours initiatique, par la seule question de la survie. Il n’y a pas de vie sans survie. L’initiation est accessoire car elle implique une forme d’éducation ; Walter Hill s’intéresse à l’état des choses présentes. Ses personnages n’évoluent pas psychologiquement mais leurs comportements se règlent en fonction des situations dramatiques et graduelles. Le scénario se resserre inextricablement sur eux, s’autorisant ainsi l’usage d’un tel traitement minimal que l’on pourrait baptiser : le « style aiguisé3 ».
Contre-pieds, fonctions et typologies : le « buddy movie » et le « comics » :
Pendant un voyage en bateau, si le navire jette l’ancre et que tu mettes pied à terre pour aller chercher de l’eau, tu ramasseras en chemin, ici un bigorneau, là un petit bulbe de plante, mais il te faut concentrer ta pensée sur le navire, te retourner sans cesse au cas où le pilote appelle ; s’il appelle, il faut tout planter là, de peur d’être jeté à fond de cale et ligoté comme du bétail. C’est pareil dans la vie ; si, en guise de bigorneau, on te donne une petite femme (…), il n’y a pas de mal à cela ; mais quand le pilote t’appelle, cours vers le navire et laisse tout sans te retourner. Et si, en plus, tu n’es plus tout jeune, reste à proximité du navire de peur de manquer l’appel4
(Épictète, Manuel)
Walter Hill est avant tout un cinéaste appartenant à cette vieille tradition américaine à ne pas vouloir s’étendre sur ses films (John Ford, Howard Hawks, Fritz Lang) et qui veut être dans l’action plutôt que dans la discussion. Assistant directeur de L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison et de Prends l’oseille et tire-toi de Woody Allen, il a également été le réalisateur (non crédité) de seconde équipe du Bullitt de Peter Yates.
Walter Hill a connu, comme son compère John Milius5, John Huston, le modèle du scénariste idéal hollywoodien, mais aussi du cinéaste monolithique et expérimenté. Pour cette génération de cinéastes, Huston apparaît vraiment comme une figure paternelle plus que spirituelle. Enfin, la rencontre avec Sam Peckinpah6 permet à Walter Hill de s’affranchir, de passer à la réalisation.
Entrer dans votre subconscient, et extérioriser vos pulsions primaires afin de les faire éclater sur grand écran. (Sam Peckinpah cité par Paul Schrader)
Les films de Walter Hill, peut-être pas tous aboutis ou réussis, ont pourtant l’audace, le mérite de retravailler le western, non pas de manière prévisible, avec une surenchère narrative que celui-ci implique, mais de le fouiller, dans une trame linéaire la plus dépouillée possible. Et cela nécessite une adresse scénaristique des plus rigoureuses : savoir trancher est une tâche bien plus ardue qu’accumuler les éléments pour faire avancer un récit. Films quasi expérimentaux ou films « maudits », certains se détachent, incompris par nos parti-pris critiques. Quelques titres réprouvés : Les Rues de feu (Streets of fire, 1984), Johnny Belle Gueule (Johnny Handsome, 1989) ou encore Wild Bill. Ou sous-estimés : Sans Retour, 48 heures de plus (Another 48 Hrs, 1990) ou encore Invincible. C’est pourtant l’un des rares cinéastes américains à traiter les sexes, les classes sociales ou raciales à égalité, sans hypocrisie ou fausse pudeur, tout en évitant la mauvaise conscience blanche et l’arrogance morale de circonstance. La femme chez Walter Hill, au milieu de toute cette débauche virile immature et instable, tient un rôle déterminant pour l’action du film (qu’elle provoque ou dérègle) : elle est même le moteur, voire le révélateur, de l’action, de leur sur-présence (Diane Lane dans Les Rues de feu7) à leur absence (celle-ci fait dégénérer l’action dans Sans Retour et Dernier Recours). Les femmes sont même représentées comme la véritable menace pour l’indépendance de ces cow-boys hors-la-loi immatures ou anachroniques (Le Gang des frères James).
Walter Hill aime à interchanger les fonctions sociales de ses protagonistes comme le démontre inlassablement le tandem de 48 heures et 48 heures de plus, et à prêter aux méchants un caractère philosophique, épousant l’idéalisme légendaire de certaines figures de l’Ouest indépendantes, en marge de toutes règles, de tout système.
Avec Walter Hill, les « méchants » s’inscrivent dans une dimension « comics » (la série de ses films policiers 48 heures, 48 heures de plus et Double Détente8, mais aussi Luther9 dans Les Guerriers de la nuit) ou se dissolvent (The Driver, Un seul deviendra Invincible). Dans Extreme Prejudice10, les héros ne sont pas ceux que l’on croit et, dans Sans Retour ou Le Gang des Frères James, il n’y a finalement ni bons ni méchants.
Dans Les Guerriers de la nuit, Les Rues de feu, ou ses « buddy movies », la place qu’il leur accorde est vraiment significative de la culture américaine, se déclinant selon trois catégories : l’influence des « comics » sur l’imaginaire américain11, la relation physique et sociale du sport12 et bien évidemment le western.
L’imaginaire des « comics » est tout aussi omniprésent que le western. Cette influence se remarque dans la construction narrative, où les deux antagonistes13 se complémentent, devenant indispensables l’un à l’autre de la même manière que le tandem héroïque du film qui les contient. Le héros existe et tient donc son essence grâce au « méchant » sans qui il n’existerait pas. L’influence des « comics » est manifeste aussi dans le caractère stylisé des traits et des graphismes perfectionnistes des bandes dessinées américaines (de l’attirail des personnages au décor) à tel point que les jeux vidéos s’inspireront d’abord de The Driver avant d’adapter littéralement Les Guerriers de la nuit !
« That’s entertainment » (Les Rues de feu, Wild Bill) :
Dans Les Rues de feu, Walter Hill semble s’interroger sur le cinéma et ce que ce médium représente dans le conscient et l’inconscient collectif, mais aussi sur l’individualité et la communauté. Il tente d’établir des relations de l’une à l’autre (nettes oppositions, concessions, interdépendance…), des interactions pour mieux les définir.
L’un des aspects les plus saisissants des Rues de feu demeure le bus des « Sorels », qui renvoie à une réalité sociale impitoyable vis-à-vis des noirs américains ; et la fin du film devient, dans son optimisme, une réponse utopiste à l’Histoire qui consiste à montrer qu’une communauté peut très bien s’unir à une autre, de la même manière qu’une individualité peut s’allier avec une communauté… Les seules individualités réticentes et qui désobéissent à la règle sont les fantômes cinématographiques issus de la résistance imaginaire de son auteur. Michael Paré est ce fantôme. Dans Le Bagarreur, Bronson est un pur hologramme, mais aussi le spectre d’une époque révolue.
Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu’elles sont. Mais une collectivité ne subsiste que dans la mesure où elle se crée des fictions, les entretient et s’y attache. S’emploie-t-elle à cultiver la lucidité et le sarcasme, à considérer le vrai sans mélange, le réel à l’état pur ? Elle se désagrège, elle s’effondre. (…). Si l’homme antique, plus proche des origines, situait l’âge d’or dans les commencements, l’homme moderne en revanche allait le projeter dans l’avenir.
(Cioran, Histoire et utopie)
Walter Hill ne triche pas. Les Rues de feu est une tentative expérimentale de digérer toute une cinéphilie générationnelle, par des genres qui ont porté aux nues le cinéma américain (la comédie musicale, le western, le film policier, le film de gang14) mais à la manière des « comics » américains. De la construction narrative, encore une fois, au montage même du film : les incongruités visuelles s’accumulent (perfection excessive du « timing » dans les actions menées par les personnages et codification extrême des caractères en plus de leur fonction narrative) et sont poussées à leur paroxysme, ce qui distille une auto-ironie critique face au devenir lucratif et médiatique du film. Dans 48 heures de plus, le goût prononcé des motifs reste fascinant : on peut dénombrer une infinité de brisures de glace, qui renvoie tout le film à un « non lieu », établissant une démystification de l’action et de son caractère spectaculaire et divertissant ! Ce caractère outrancier et critique renvoie encore une fois aux « comics »… Comme pour John Carpenter (les héros baroudeurs et le traitement fantastique du sujet à la figure) ou George Romero15 (Creepshow), on ne peut nier : Walter Hill est, comme toute une génération, l’enfant turbulent d’une Amérique qui a commis des bévues à ciel ouvert, et ce depuis les livres d’Histoire aux premiers journaux télévisés.
Je fais des films parce que j’ai toujours eu envie de créer des mythes. Les Etats-Unis sont un pays qui prétend ne pas avoir de mythes, mais j’ai envie, moi, d’introduire le sentiment du légendaire dans une culture qui n’a pas de légende. Parce que nous avons beau nous présenter comme des technologiques, nous avons toujours les craintes de l’homme des cavernes et nous avons toujours peur du noir.
(John Carpenter, Starfix n°90, 1990)
Dans Wild Bill, tout est mis en œuvre pour désincarner le western : un duel en chaise roulante, une reconstitution visuelle grossière et exagérée d’un spectacle retraçant les exploits de « Bill », des légendes de l’Ouest interprétées par des acteurs vieillissants aux tics pathétiques qui radotent ou exagèrent les exploits de leur ami Bill avant de se comporter en bêtes de foire. Cette prolifération démystifiante continue16… des lieux clos qui font de ces cow-boy non pas des légendes de l’Ouest, mais des coucheurs, des ivrognes, des joueurs : tout Wild Bill participe à la représentation, au western « rediffusé » et « sur-diffusé ». Aussi, Wild Bill (1995), le parti pris narratif choisi (les personnages sont âgés), de Jeff Bridges (James « Bill » Hickok) à John Hurt (Charley Prince), concoure à la distance que ces derniers expriment envers leurs propres actions ou exploits, créant ainsi une mise en abîme, renvoyant le western à une ère révolue, nostalgique et rêvée. Celle-ci n’a finalement peut-être jamais eu lieu, sauf dans les films. Wild Bill est un film rempli d’une multitude de désillusions sur le western. Walter Hill y enterre le genre bien plus profondément encore que La Horde sauvage en son temps, renvoyant la violence à quelque chose de factice, les détonations d’arme à feu étant même traitées comme des flashs photographiques. Dans l’Ouest américain, la violence était certes réelle, mais dérisoire, absurde et en aucun cas emphatique, à moins d’un intermédiaire scénique contemporain (l’apparition de la photographie) ou d’un dispositif spectaculaire (les spectacles lucratifs de son ami Buffalo Bill).
Il est bien clair, par conséquent, que la nature qui parle à la caméra n’est pas la même que celle qui parle aux yeux. Elle est autre surtout parce que, à l’espace où domine la conscience de l’homme, elle substitue un espace où règne l’inconscient. (…). Pour la première fois, elle (la caméra) nous ouvre l’accès à l’inconscient visuel, comme la psychanalyse nous ouvre l’accès à l’inconscient pulsionnel.
(Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique)
La narration est, de plus, complexe : la voix off de John Hurt, les personnages secondaires qui pullulent pour défier Bill et s’incrustent dans la narration. Ces souvenirs, autour des exploits narrés par ses amis en public, s’ajoutent à ceux de Bill mêmes ! Selon un rêve ou une performance théâtrale « arty », voire une maladie, dans le traitement diffus et granuleux en noir et blanc de l’image. Ils sont tous accro à la célébrité et s’y accrochent pour monnayer leurs récits d’aventure. La réputation de Bill prévaut ce qu’il est vraiment et influence même les jugements de valeur à son encontre.
Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. (Karl Marx)
Wild Bill ou film-enquête autour de situations tendant à expliquer le comportement détaché, blasé et meurtri de James Hickok, un cow-boy à la fois égaré et moins représentatif d’une ère industrielle stigmatisée par l’invention du train (Les Cheyennes, Il était une fois dans l’Ouest), que d’une ère industrielle incarnée par l’avènement de la société du spectacle (Mon nom est personne). Si Wild Bill est l’un des films les moins compris de la critique (et du public), c’est justement dans cette prise de recul constante et manifeste, permettant de mieux cerner son sujet, et dans ce caractère nostalgique découpant la silhouette baroudeuse de James Butler Hickok. Hanté par ce personnage et la figure « politique » du « cow-boy desperado17 » qui en découle, Walter Hill serait le dernier baroudeur, c’est-à-dire un miraculé dans la production hollywoodienne contemporaine.
Nous avons vu un film récemment sur une forme de théâtre aux Indes, le Kutiyattam. Les acteurs moines réfugiés dans un monastère ne jouent que pour les dieux, il n’y a pas de public. C’est une démarche qui nous est étrangère, en Occident, elle est surtout contraire aux idéologies du marketing. Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a chez tout être humain, un côté dieu, une noblesse qui le pousse à vouloir comprendre ce qui est « inatteignable ».
(Marc’O, Les Périphériques vous parlent, n°17, 2003, p.37)
Le western à rebours :
Le plus grand auteur de westerns est Homère. Tous les mythes sont parents d’Achille et d’Agamemnon, qui auraient d’ailleurs fait des shérifs fabuleux. Les mythes originels les plus éloignés inspirent le western. Son ambiance a dépassé la mesure du problème du Far West américain. Cette dimension du western n’appartient pas aux Américains, mais à tout le monde. C’est une fable universelle filtrée par la culture de chacun. On y retrouve ses propres codes, son système de référence personnel. C’est comme cela que je considère l’Amérique tout entière, comme une fable pour adultes.
(Sergio Leone, propos recueillis par Anne de Gaspery, Ciné-Revue, 1984)
As far as I’m concerned, all my movies could be westerns, so this is good stuff. (Walter Hill)
L’interrogation du western est poussée à son maximum, notamment selon deux axes de temps et de lieu :
– Le huis clos : l’intérieur carcéral et l’extérieur pictural médiatique de Un seul deviendra Invincible18 (Undisputed, 2002), la question paradoxale de l’action à l’intérieur d’un lieu unique dans Les Pilleurs (Trespass, 1992).
– Les héros sont ceux qui restent en vie dans un parcours donné19 (Les Guerriers de la nuit, Sans Retour et sa première production Alien).
La grande dextérité de Walter Hill en tant que scénariste et cinéaste se manifeste donc dans son approche du western. Celui-ci est convié pour des sujets finalement assez réalistes alors que ce genre est proprement lié au cinéma, comme le montre Wild Bill. Le western, comme genre convoqué explicitement, devient un ancrage du réel. En effet, tous ses westerns ne sont pas exactement des « bio-pictures20 », mais relatent les périodes-clés de la vie de certaines figures de l’Ouest sous un nouveau jour (Le Gang des frères James, Geronimo, Wild Bill). Même ses réalisations où le western n’est qu’un alibi formel, en vue d’un schéma narratif minimal, ont un contexte social très prononcé, voire aussi présent que les enjeux dramatiques des personnages : – la guerre du Vietnam transposée chez les Cajuns avec Sans Retour (Southern Comfort, 1981) ; – la Dépression et la Prohibition dans la Louisiane des années 30 avec Le Bagarreur ; – la réinsertion sociale des criminels et les affres de l’éducation de la compassion scientifique intéressée, au jugement moral policier sans rémission dans Johnny Belle Gueule (Johnny Handsome, 1989) ; – les atmosphères morbides des trajectoires macabres champêtres des frères James et Younger dans le film homonyme (The Long Riders, 1980) ou celles urbaines de New York des Guerriers de la nuit.
Pour finir, une attention toute particulière au film Johnny Belle Gueule : production modeste suivant un enchaînement dramatique et linéaire des événements autour d’un personnage, traduisant aussi la dimension la plus critique de son œuvre. En effet, il répertorie tous les schismes sociaux, raciaux et sexuels de la civilisation occidentale contemporaine avec un regard sec et implacable (Hill se place en observateur) sans ironie ou cynisme. C’est une tragédie dans tous les sens du terme. Son esthétique, noctambule et dépressive, évoque aussi, étrangement, certains films de Paul Schrader et Abel Ferrara. Un film sous le joug de la rédemption.
I always say the next one is my favorite. I tend not to look back. It’s confusing. You as an audience can look at these things as films, but I remember them as social experiences
(Walter Hill)
Derek Woolfenden.
1 Certaines formules, comme celle-ci, sont empruntées à l’entretien éclairé réalisé par Patrick McGilligan, intitulé « Last Man Standing », pour la revue Film International n°12, 2004.
2 Les Guerriers de la nuit est tout d’abord un roman publié en 1965 par l’écrivain Sol Yurick (né en 1925), inspiré d’une histoire grecque écrite au 4è siècle avant Jésus Christ par Xénophon (la retraite des Dix Mille est relatée dans L’Anabase). Il s’agissait d’un voyage de retour, par la mer, de mercenaires grecs dont le chef avait été tué pendant la guerre contre les Perses.
3 En référence aux films de sabre japonais des années 60 (Kurosawa, Okamoto et Misumi).
4 Cela vaut pour les personnages solitaires du Bagarreur et du Solitaire (Michael Mann, 1981). Dans Le Bagarreur, Charles Bronson est également une sorte de résistant indépendant qui protège et défend une certaine idée de liberté, qui consiste à ne jamais avoir d’attaches fixes et ne jamais dépendre ainsi d’un argent gagné quotidiennement. Le Bagarreur est un film désabusé, qui démontre la dure loi de gagner sa vie au jour le jour avec ses poings, selon une persistance acharnée, pour préserver coûte que coûte des principes « antiques », ceux forcément anti-bureaucratiques et anti-technologiques dans une nouvelle ère qui, pourtant, ne s’y prête plus.
5 John Milius écrivit le scénario de Juge et hors-la-loi pour John Huston (The Life and Times of Judge Roy Bean, 1972). Il a collaboré aux scénarii d’Extrême Préjudice et de Geronimo.
6 Walter Hill a écrit le scénario de Guet-apens (1972) qu’il a adapté du roman de Jim Thompson.
7 Mais aussi Maria Conchita Alonso dans Extrême Préjudice ou Deborah Van Valdenburgh dans Les Guerriers de la nuit.
8 Le succès de son film 48 heures serait le premier « Buddy movie », genre qu’il a initié et « démocratisé » (de 48 heures à L’Arme Fatale, mais aussi 48 heures de plus et Double Détente) et qui consiste dans un tandem d’acteurs que tout oppose, mais que l’action du film, généralement policier, va unir.
9 Walter Hill a demandé à l’acteur, David Patrick Kelly, pour ce personnage de s’identifier à Richard III.
10 Ce sont le commando de forces spéciales…Chaque soldat représente une guerre compromettante pour l’image américaine et que leur mort présumée, dès l’ouverture du film, sert à cacher, voiler une vérité historique brûlante.
11 Il a participé à la série télévisée des Contes de la Crypte (Tales from the Crypt, 1989) qui découle de ces influences.
12 La boxe du Bagarreur à Un seul deviendra Invincible et le base-ball dans Les Guerriers de la nuit (the Furies) à Brewster’s Millions.
13 Michael Paré et Willem Dafoe dans Les Rues de feu, Nick Nolte et James Remar dans 48 heures ou Arnold Schwarzenegger et Ed O’Ross dans Double Détente.
14 Le gang propre au Far West ou celui de la Prohibition (les armes, les tenues vestimentaires du héros et de la police, et les noms de certains personnages : Cody, Clyde, Cooley…), mais aussi propres aux Warriors (les gangs sont des clans bien définis, bien délimités : les « Roadmasters », les « Bombers »).
15 George A. Romero et John Carpenter abordent le western dans leurs films avec la même ferveur que Walter Hill, et tous revitalisent la série B, du choix du genre aux sujets et du sujet à son dépouillement. Incassable (M. Night Shyamalan, 2000) et A History of Violence (David Cronenberg, 2005) offrent d’autres lectures passionnantes, qui attestent des relations étroites entretenues avec l’imaginaire « mythique » des bandes dessinées américaines et l’Amérique d’aujourd’hui.
16 Des détails autour des organes récepteurs parsèment le film : une oreille explosée par un revolver, le glaucome de Bill… les références bibliques autour de la ville renvoie celle-ci au « carton pâte » des péplums, genre musclé qui a le plus exploité les récits bibliques au cinéma : la ville de Deadwood est comparée à Sodome et Gomorrhe , c’est-à-dire une antre infernale où l’on baise, boit, joue, , en somme à un monde factice, celui du spectacle (« entertainment »). Ce dernier est le véritable fléau du Far West, bien plus que la révolution industrielle et économique incarnée par les chemins de fer !
17 Le western parcourt tous les films de Walter Hill, de l’unité de temps à celle du lieu, et le personnage du « cowboy desperado » (dixit Bruce Dern dans The Driver) est vraiment persistant.
18 Ce traitement du huis clos carcéral rappelle Haute sécurité de John Flynn (Lock Up, 1989)
19 De ce point de vue, Lifeboat d’Alfred Hitchcock pourrait être considéré comme un western.
20 On reconnaît ici une tradition cinéphile très forte qui rapproche Walter Hill à cette période hollywoodienne des biographies romanesques (films d’Henry King) ou pédagogiques (William Dieterle, John Huston), très en vogue dans les années 40 et 50.

