Traqué dans la ville (Italie, 1951) de Pietro Germi

Avec Renato Baldini, Cosetta Greco, Paul Muller, Fausto Tozzi, Enzo Maggio Jf, Gina Lollobrigida.

Quatre malfrats s’attaquent aux recettes d’un match de football en cours avant de se séparer, poursuivis individuellement et tour à tour par la police.

Traqué dans la ville (La citta si difende, 1951) commence comme Armored Car Robbery (1950) de Richard Fleischer, se poursuit façon Chasse au gang (1954) de André de Toth, et évoque Quand la ville dort (1950) de John Huston dont il est presque contemporain. Pietro Germi, depuis Le Témoin (1946), son premier film, entame un cinéma populaire affilié volontairement au cinéma de genre policier américain (1), sans pour autant renier l’influence néoréaliste (qu’il pervertit selon certains critiques contemporains). Immense cinéaste parce qu’inclassable, Pietro Germi est mal connu en France. Autant que Lattuada, Lizzani ou Bolognini, si ce n’est plus, à l’égard d’une carrière qu’il ne tardera pas à dédier à la comédie italienne et pour laquelle il contribua à ses plus grandes heures (Séduite et abandonnée, Divorce à l’italienne, Ces Messieurs dames, le scénario de Mes chers Amis adapté par son ami Mario Monicelli…). Il a pourtant réalisé des fleurons du cinéma d’après guerre, et tous genres confondus. Il Ferroviere est un drame néoréaliste (influencé par Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica), Meurtre à l’italienne est un film pamphlétaire à l’encontre de la Mafia construit à la fois comme un opéra (La Mafia fait la loi de Damiani s’en souviendra) et un réquisitoire (Petri, Rosi et Pontecorvo aussi).

Traqué dans la ville anticipe et préfigure, via le sujet du film et son traitement, autant Meurtres dans la 110e rue (1972) de Barry Shear que les poliziottesco (2) des années 70, via son titre original ironiquement réactionnaire (« la ville se défend »).

Dès que le méfait est commis, une voix off crée une sorte d’aparté documentaire à l’égard du spectateur condamnant définitivement les protagonistes à la machine judiciaire, mais ce braquage les livre également à la mécanique d’un genre où la police va enfin pouvoir tisser sa toile. L’argent volé est le symptôme de cette transaction entre une réelle donnée sociale, qu’est l’Italie d’après-guerre, et son extension symbolique à travers la fiction populaire (3). Cette voix off à consonance institutionnelle (précision policière jusqu’à l’anecdote médiatique croustillante) représente la dimension implacable de la société italienne au sortir de la seconde guerre mondiale à l’égard de ses miséreux et de ses marginaux. Ce parti-pris moral force l’adhésion du spectateur pour ces criminels amateurs et à l’empathie face à leur condition sociale misérable. Les corps institutionnels, dépeints sans lourdeur parce que relégués au second plan et aux apparitions furtives, ne se préoccupent jamais de la condition dramatique des quatre malfrats même si ces derniers se révèlent être de parfaits écorchés sociaux, voire des martyrs stigmatisant une Italie définitivement insensible et cruelle que suspendra in extrémis la fin du film. Une scène marquante et révélatrice, disons-le, du génie de Pietro Germi : Guido, l’âme en peine n’arrivant pas à vivre de sa peinture se fait littéralement dévoré par une famille dégénérée (par la criminalité qu’encourage la misère) qui pourrait sortir autant de The Homecoming de Peter Hall (d’après Harold Pinter), de Massacre à la Tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper que d’Affreux, sales et méchants (1976) de Ettore Scola. L’horreur du réel, ici à son paroxysme, fait basculer le film aux confins du Fantastique comme la guerre dans La Grande Pagaille (1960) de Luigi Comencini (4) avec la séquence où Alberto Sordi se défend tant bien que mal contre les affamés d’une petite ville le dépouillant de son stock de farine. À mesure de l’invasion, la farine recouvre les êtres et les assimile à des revenants d’outre-tombe…

Derek Woolfenden, novembre 2015

Notes :

(1) L’utilisation de la voix off du Témoin anticipe celle de La cité sans voiles de Jules Dassin que Germi admirait et la construction dramatique autour du comédien préfigure Highway 301 (1950) de Andrew L. Stone avec Steve Cochran.

(2) « Dans les années 70, l’Italie évolue dans un climat social trouble et particulièrement violent. La police et les politiciens sont corrompus, la mafia et les contrebandiers règnent en maître sur le pays. Le terrorisme, avec les Brigades Rouges et tous les autres groupes subversifs, fait planer un sentiment d’insécurité.

La réponse du cinéma italien pour exprimer les angoisses d’une société profondément agressée se fait sous la forme de ces polars âpres et très politiquement incorrects. Ils ont en général pour héros un flic solitaire qui décide de combattre le crime avec les mêmes armes que ses adversaires. Fusillades, agressions, courses poursuites, actes de violence gratuits en sont les ingrédients de base. » (Texte de la jaquette du film dans la collection « Italie à main armée » de l’éditeur dvd français Neo Publishing).

(3) Le polar fut la bête noire de Mussolini qu’il supplanta par la période dite des « Téléphones blancs » (1937-1941). Pour Mussolini, le polar était un genre littéraire et cinématographique qui traduisait des réalités sociales de son époque et menaçait l’euphorie fasciste…

(4) Luigi Comencini et Federico Fellini ont participé à l’écriture de l’histoire originale du film.