School on Fire (Hong Kong, 1988) de Ringo Lam

« NOBODY CARES ABOUT ME ! »

Cinéaste autant majeur qu’influent que furent John Woo ou Tsui Hark, Ringo Lam est né en 1955 à Hong Kong, et décède à 63 ans. Son âge d’or correspond à 1987-1997 avec des films phares comme la série des « on fire » (City on fire (1), Prison on fire I & II, School on fire), Full Contact (2), Le Temple du Lotus Rouge et Full Alert. Il fait partie de cette génération de cinéastes (Tsui Hark, Ann Hui, Patrick Tam ou encore Ronny Yu) ayant fait des études cinématographiques universitaires à l’étranger avant de revenir à Hong Kong pour y entamer une carrière. Il étudie le cinéma à l’université York de Toronto avant de revenir à Hong Kong (1981) et débuter en tant que réalisateur à la télé hongkongaise puis, grâce à Karl Maka (et sa compagnie Cinema City), il dirigera son premier film, Esprit d’amour (1983) puis enchaînera avec, notamment, le quatrième volet de la série comique Mad Mission, Rien ne sert de mourir (1986). Fort de ce succès, Ringo Lam engage la star populaire Chow Yun-fat et réalise City on fire (1987, meilleur réalisateur aux Hong Kong Film Awards) qui dépeint les dysfonctionnements de la colonie britannique au travers de l’institution policière avant de s’attaquer à l’institution carcérale (Prison on fire I en 1987 & II en 1991) puis scolaire (School on fire, 1988). La particularité de ces films ? « Une rage furieuse » (selon la formule de Lorenzo Codelli pour son hommage rendu dans la revue Positif en 2019)

« Cette trilogie permet de comprendre le style de Ringo Lam : son approche de la violence est brute, frontale, éloignée du maniérisme d’un John Woo. Une noirceur traverse son cinéma et ces trois longs-métrages, surtout dans School on Fire, le plus enlevé de la trilogie. Il met en scène des lycéens aux prises avec la mafia locale, et la conclusion de cet affrontement est forcément tragique. (…) Le nihilisme des lycéens envers leur futur n’est que le reflet de la population hongkongaise face à l’arrivée de l’année 1997 et de la rétrocession » (Fais pas genre !, le webzine de tous les cinémas de genre, « la rétrocession dans le viseur » par Mathieu Guilloux, dans le cadre de la sortie vidéo de Full Alert par Spectrum Films, 2020)

Une jeune écolière se retrouve mêlée aux triades de Hong Kong, et pressurisée autant par la police que par sa famille après avoir été témoin du meurtre d’un camarade de classe lors d’une bagarre devant son école… Voilà le thème du film de School on fire et sur lequel Ringo Lam va pouvoir en tirer toute sa violence (3). Non pas une violence racoleuse et complaisante, mais une violence critique, indispensable pour nous faire entrevoir l’étau social et politique dans lequel les personnages se retrouvent et se font aspirer vers le chaos puis le néant. Et quelle ironie que l’École soit le foyer de toute la violence du film…

« Basée sur l’humiliation, la répression, l’égalisation de tous en êtres uniformes, identiques dans leurs désirs artificiels, identiques dans leurs névroses, identiques dans leurs comportements, dans leurs réactions, l’Éducation apparaît comme un des meilleurs piliers de nos sociétés, un des meilleurs garants du Pouvoir. L’enseignant est au flic ce que la semelle est à la chaussure. Le Pouvoir enfante l’Enseignant. Les Enseignants enfantent le Pouvoir. (…). L’École est le Bureau d’Accueil de l’Usine. Elle constitue l’Âme de la société, la partie Production étant le Corps. » (Jules Celma, Journal d’un éducastreur)

Plus les adultes tentent d’aider leurs enfants ou leurs élèves, et plus ces derniers s’enfoncent inexorablement dans la délinquance. Ringo Lam est le cinéaste de la brutalité, de la cruauté qui entache tous ses personnages, surtout s’ils sont pauvres ou/et s’ils ont des valeurs. Ils en payeront le prix tôt ou tard. Le monde que décrit Ringo Lam nous oblige à tendre vers le crime. Et la perversion est telle que dans son univers, plus on est juste, bon, solidaire, bienveillant et plus on va en souffrir et payer un lourd tribut. Pas d’autres alternatives possibles sauf si on reste à distance. Mais Ringo Lam n’est complice, engagé et passionné qu’avec ceux qui cèdent à la violence, qui craquent nous (dé)livrant des morceaux de bravoures chaotiques qui n’ont rien à envier ni à Sam Peckinpah, ni à Kinji Fukasaku dont Lam pourrait être leur fier héritier. Et sans jamais avoir cédé à des figures de style visibles que purent mobiliser ces derniers. La force de sa mise en scène relève d’une violence générale où les bons élèves deviennent cancres et où les cancres finissent par se faire broyer, nos préjugés n’y ayant plus cours. Il y a aussi ce va-et-vient saisissant entre l’école et le quotidien urbain des élèves.

Ringo Lam n’est jamais complaisant avec la violence, mais la décrit comme un moteur contagieux, un abrasif vertigineux et un feu dévorant tout sur son passage ne laissant plus rien à l’arrivée, vidant les survivants de toute vie : les personnages principaux, tous à vif, procèdent à un effet de peau de chagrin le long du film. La violence, certes abrupte chez Ringo Lam, a toujours des conséquences dramatiques pour ses personnages, qu’ils soient principaux ou secondaires, et ne relève pas de procédés narratifs visant simplement à faire progresser le récit. Il en va ainsi de ses personnages qui ne semblent pas dépendre d’un schéma immuable les englobant ni même appartenir à des typologies fonctionnelles caractérisées. Ils sont faillibles et animés par leurs émotions, qu’elles soient pérennes ou instantanées. C’est leur choix qui les fait basculer dans la violence ou non, et c’est toujours ces mêmes choix qui semblent faire avancer le récit comme en témoignera le film méconnu Wild Search (1989).

« Les hommes [et les femmes] sont exposés à une contagion violente qui débouche souvent sur des cycles de vengeance, des violences en chaîne qui sont toutes semblables de toute évidence parce qu’elles s’imitent toutes. C’est pourquoi je dis : le vrai secret du conflit et de la violence, c’est l’imitation désirante, le désir mimétique et les rivalités féroces qu’il engendre. » (René Girard, Celui par qui le scandale arrive, Entretiens avec Maria Stella Barberi)

Les personnages de Ringo Lam semblent souffrir du même dilemme aldrichien de telle sorte que ces paroles du cinéaste américain font écho à School on Fire : « Je trouve que le monde est très violent. Que vous l’aimiez ou non, la violence a plus de succès que la non-violence. Que nous aimions ça ou non, des gens que nous admirons trouvent dans la violence une solution à leurs problèmes. S’il faut choisir entre attirer l’attention par la violence ou ne pas du tout retenir du tout l’attention, je préfère la violence. »

Participant de l’âge d’or du cinéma HK des années 80, offrant à Chow Yun-Fat et à Jean-Claude Van Damme leurs meilleurs rôles, Ringo Lam (1955-2018) était le plus grand.

« Mon attitude envers le cinéma pourrait se résumer ainsi : donner tout mon cœur et toute mon âme. Seuls des films réalisés dans cet état d’esprit me permettraient de m’exprimer et de documenter en même temps mes pensées et mes sentiments à un moment donné. Quand je regarde mes films, je peux voir ma trajectoire personnelle. Me rappeler les dessous difficiles et complexes des tournages est bien plus significatif que le film en soi […]. Mes pensées et mes idées progressent à leur façon. Si j’aborde le cinéma avec authenticité et honnêteté, je crois que les qualités singulières de mes films apparaîtront en filigrane. C’est là le premier pas de mon processus créatif. J’en ai assez dit. Regardons les films ! » (Ringo Lam en 2014 dans The Ultimate Guide to Hong Kong Film Directors, 1979-2013, Freddie Wong Kwok-shiu (dir.), Hong Kong Film Directors Guild, 2014)

Derek Woolfenden, 2022

NOTES :

(1) Tarantino a repris la structure générale narrative de City on fire (1987) pour Reservoir Dogs (1992), son premier film, mais aussi son atmosphère électrisante dans les tensions tissées entre les personnages et prêtes à exploser à tout instant.

(2) « Menant à leur point de rupture les pistes développées dans ses autres films (la description d’un monde déliquescent en proie à l’incertitude, la croyance en un système de valeurs hérité du film noir classique, un savoir-faire indéniable pour le cinéma d’action commercial…), Full Contact représente le pic paroxystique d’une carrière entièrement placée sous le signe du chaos et de l’aliénation. Comme si, à force d’être tiraillé entre des tentations contraires, il avait fini par se trouver face à cette unique porte de sortie : succomber de tout son être à l’exploration de ses propres limites. Et puisque le bon goût semble logiquement banni d’une telle entreprise, c’est le cinéma américain de deuxième zone, celui des gunfights bruyants et des formules ringardes, qui nourrit en premier lieu l’inspiration du réalisateur. » Moralité de cette « Série B inconfortable » (revue Film 4) : « si ton film dépeint la folie d’un monde sans repère, tout est permis! » » (livret accompagnant le DVD du film de Ringo Lam*).

* « Dans un entretien accordé au Hong Kong Film Archive, Lam décrivait la différence entre ses films plus politiques et Full Contact, affirmant qu’il ne voulait pas faire un film « qui ait quoi que ce soit à voir avec les enjeux sociologiques et politiques du temps. Je voulais m’en laver les mains, faire table rase. On m’avait menacé de mort et accusé de défendre les mauvaises idées politiques, je voulais me tenir à l’écart de tout ça. Je voulais faire un film dans un style que personne ne pourrait ranger dans une case. »

(3) A Hong Kong, la commission de censure lui avait imposé d’importantes coupes aux films Prison on fire et School on fire en raison de leur caractère jugé trop violent. Trente-trois coupes selon son acteur Roy Cheung (dans un bonus de l’édition DVD/BluRay du film Wild Search paru chez Spectrum Films). Suite à la sortie de School on fire, les films s’amenderont d’une classification de catégorie 3 et mise à exécution dès 1988. Cette restriction applicable à cette dernière catégorie est ainsi définie : « Aucune personne de moins de 18 ans n’est autorisée à louer, acheter ou regarder ce film au cinéma ». Ceci s’applique autant aux films produits à Hong Kong qu’à l’étranger. Le sujet du terrorisme international de son film postérieur Guerres de l’ombre (Undeclared War, 1990) permettra à ce dernier d’échapper à une censure trop sévère à Hong Kong, et notamment grâce à la mémorable séquence d’ouverture filmée dans une église à Varsovie.